Canal Saint-Martin : Ma douche à l'italienne a failli couler mon prêt immo

Le bruit d'un goutte-à-goutte à trois heures du matin, c'est un peu comme le générique d'un film d'horreur : on sait que ça va mal finir, mais on espère secrètement que c'est juste le chat qui joue avec le robinet. Spoiler : je n'ai pas de chat.

J'avais 31 ans, une paire de Stan Smith flambant neuves, un CDI dans la « tech créative » et une arrogance de primo-accédant qui ferait passer un trader de la City pour un moine franciscain. J'avais déniché l'impossible : une petite maison meulière de 135 m², planquée au fond d'une cour pavée à deux pas du Canal Saint-Martin. Un morceau de banlieue chic en plein 10ème arrondissement. Le rêve, quoi. Enfin, jusqu’à ce que je décide de « moderniser » le tout sans demander l'avis de quelqu'un qui a déjà tenu une truelle dans sa vie.

Le péché d'orgueil : une douche de palace dans une maison de 1920

Quand on achète une meulière, on achète le cachet, les pierres apparentes et l’âme du vieux Paris. Mais quand on s’appelle Lucas et qu’on passe trop de temps sur Pinterest, on veut transformer cette âme en suite de l'hôtel Costes. Mon grand projet ? La douche à l'italienne. Une vraie. Pas un bac en acrylique posé à la va-vite, non. Je voulais de la pierre naturelle, de la robinetterie encastrée noire mate et surtout, aucun seuil. Le sol de la salle de bain devait se prolonger de manière fluide jusque sous le jet de pluie.

« T'inquiète pas, Lucas, c'est du gâteau », m'avait dit un entrepreneur trouvé sur une application de services entre particuliers. Il avait l'air sympa, il portait une casquette de baseball et demandait la moitié du prix des devis habituels. Mon instinct de survie financier criait au génie. Mon bon sens, lui, était apparemment en congé sabbatique. On a cassé le plancher d'origine, on a coulé une chape, et trois semaines plus tard, je postais ma première story Instagram : #HomeSweetHome, avec un filtre Clarendon sur mes carreaux de ciment.

La claque technique : le complexe de la passoire

Le drame a commencé deux mois plus tard. Ça a débuté par une odeur. Une odeur de vieux chien mouillé qui traînait dans le couloir, malgré les bougies parfumées à 60 balles que j'achetais chez le concept-store du coin. Puis, j'ai remarqué que les joints de mon magnifique carrelage commençaient à foncer. Ils ne séchaient plus.

Le moment de vérité est arrivé un mardi soir, quand j'ai vu une goutte d'eau perler au plafond du salon, juste en dessous de la salle de bain. Pas une petite goutte timide, non. Une goutte lourde, chargée de poussière de plâtre et de regrets.

J'ai appelé un véritable expert cette fois. Un type qui ne portait pas de casquette, mais une lampe frontale et un air de juge de la Cour Suprême. Son verdict est tombé comme une guillotine : « Votre douche, c'est une passoire de luxe. ».

Il m'a expliqué que mon entrepreneur du dimanche avait oublié le « SPEC ». Pour les néophytes (comme moi à l'époque), c'est le Système de Protection à l’Eau sous Carrelage. Dans une douche à l'italienne, le carrelage et les joints ne sont jamais étanches. C'est un mythe. L'étanchéité doit être assurée en dessous par une résine spécifique ou une « natte d'étanchéité » (une membrane plastique souple) qui remonte sur les murs. Sans ça, l'eau s'infiltre par capillarité, sature la chape, et finit par bouffer la structure. Dans mon cas, l'eau s'était même infiltrée dans la pierre meulière, qui est une éponge naturelle.

La descente aux enfers (et au sous-sol)

Réparer une douche à l'italienne mal faite, ce n'est pas comme refaire une peinture. C'est une autopsie. Il a fallu tout casser. Absolument tout. La pierre naturelle à 150€ le mètre carré ? À la benne. La robinetterie encastrée ? Il a fallu découper la cloison pour voir si les raccordements ne fuyaient pas non plus (ils fuyaient, évidemment).

Le devis de l'expert pour la « reprise totale avec traitement fongicide des bois de structure et réfection de l'étanchéité périphérique » affichait 10 500 euros. C'est à peu près le prix d'une petite voiture ou de 4 000 pintes sur le quai de Valmy. J'ai dû appeler mes parents pour un prêt d'honneur, ce qui est particulièrement humiliant quand on a passé les trois derniers mois à leur expliquer qu'on était devenu un grand investisseur immobilier.

J'ai passé quatre semaines à me laver à l'ancienne, avec une bassine et un gant de toilette, au milieu d'un chantier qui ressemblait à Beyrouth en 82. Chaque coup de marteau-piqueur résonnait dans mon crâne comme un rappel de ma propre stupidité.

Épilogue : Le prix de la tranquillité

Aujourd'hui, ma douche fonctionne. Elle est magnifique, elle est étanche, et je peux rester dessous pendant vingt minutes sans craindre de finir dans le salon de mes voisins du dessous. Mais cette douche m'a coûté le prix d'une cuisine équipée haut de gamme et quelques cheveux blancs.

Si c'était à refaire ? Je n'aurais jamais fait confiance à un type dont le seul argument de vente était « je sais tout faire ». J'aurais pris quelqu'un pour m'accompagner, pour surveiller ces détails invisibles qui font qu'une maison reste une maison et ne devient pas un sous-marin. La rénovation à Paris, c'est un sport de combat, et je suis monté sur le ring sans protège-dents.

Je sécurise mon projet de rénovation maintenant